Louise  Warren – Poète et essayiste

Terra incognita

Terra incognita
1992

J’ai peur
j’ai peur pour eux, là-bas
calme-toi, mais calme-toi
c’est l’œil qui décide, c’est la langue qui parle
fermer un texte m’affole
j’ai promis de tout dire
hier encore
hier
ils ont téléphoné
les amours morts
au bout du fil
ils veulent savoir
s’il reste quelque chose de vivant
de sensible
un sentiment, un souvenir ou
à peine un regard
au fond de la fosse
colonne de mots
les pans du monde disparaissent
comment dormir quand une voix demande
à qui sont ces yeux
lettres et journaux m’emportent
vont finir par m’emporter
je reviens, je reviens sans cesse
le blanc sur le blanc
et moi qui demande la paix.

Terra incognita, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1992.

Le dernier ouvrage de Louise Warren se présente sous la forme d’une longue mélopée. Tout le texte se déploie comme un chant psalmodié au rythme des musiques des déserts qui nous envahissent à chaque page et qui scandent cette peur, cette angoisse qui jalonnent tous les poèmes : « Le monde est-il fini? » […]

La figure du désert, omniprésente dans l’ouvrage, nous rappelle que la vie est fragile, toujours plus menacée de disparaître dans notre monde moderne devenu, à son tour, une « terra incognita », un lieu étrange où nous ne savons plus vivre, aimer. Comme ce vieil homme cherchant sa maison anéantie par les bombes, ses parents et, en dernier, un simple abri où enterrer sa douleur, nous sommes devenus étrangers à nous-mêmes et ne savons plus où nous terrer. Restent les mots, le poème qui saura renouer avec le vivant :

je dis un seul poème
c’est toi, c’est ton pas
amour
et moi vivante en vous.

Le recueil de Louise Warren nous invite à cette quête, mêlée de frayeur, nous convie avec une voix poétique forte et vibrante à un voyage intérieur. Nous en revenons comme libérés des petites comme des grandes morts que nous portons en nous. L’écriture, comme dira l’auteure à la fin de son livre dans « Page de journal », donne parfois accès à une sorte de « révélation » sur nous-mêmes, offre peut-être aussi une réponse à cette question essentielle posée au début du recueil :

Oui, j’aurais voulu savoir si vous aimez encore,
Un peu.
S’il vous reste de la vie.

Et c’est sans doute cette façon de nous questionner et de nous émouvoir qui fait la force et la qualité de cet ouvrage parfaitement accompli.

LOUISE COTNOIR
Arcade
1992

Étude

René Lapierre. « Livres ouverts » (sur Notes et paysages et Terra incognita), dans Liberté, nº 202, juin 1992.

Mention

1992 Terra incognita, finaliste au prix de poésie Terrasse Saint-Sulpice de la revue Estuaire.

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